Des routes bloquées, des pneus brûlés, et le domicile du premier ministre attaqué : en Libye, l’annonce, dimanche 28 août, de la rencontre entre la cheffe de la diplomatie libyenne Najla Al-Mangoush et son homologue israélien Eli Cohen, a provoqué des réactions incendiaires. Le communiqué pourtant enthousiaste du ministère des affaires étrangères israélien faisait écho d’une réunion « inédite » à Rome la semaine dernière « dans le but d’examiner les possibilités de coopération et de relations entre les pays et la préservation du patrimoine de la communauté juive libyenne ».
Mais la rencontre, gardée secrète à Tripoli, ne passe pas côté libyen alors que le pays ne reconnaît pas l’existence d’Israël et que la normalisation des relations avec l’Etat hébreu y est passible de sanctions pénales. L’information suscite alors l’émoi. Dimanche après-midi, le Conseil présidentiel libyen a demandé au chef du gouvernement d’union nationale Abdelhamid Dbeibah des « éclaircissements » sur cette rencontre rappelant que « ceci ne représente pas la politique étrangère de l’Etat libyen, ne représente pas les constantes nationales libyennes et est considéré comme une violation des lois libyennes qui criminalisent la normalisation avec l’entité sioniste ». Rapidement, le ministère des affaires étrangères a répondu en plaidant « une rencontre fortuite et non officielle, au cours d’une rencontre avec son homologue italien [Antonio Tajani], qui n’a comporté aucune discussion, accord ni consultation ».
Qu’importent les détails, la réponse ne convainc pas la rue. Devant le siège du ministère à Tripoli, une foule de manifestants s’est agglutinée dans la soirée pour réclamer « la chute du gouvernement ». Plus à l’est de la capitale, d’autres groupes se sont formés et ont incendié la résidence du premier ministre, M. Dbeibah. A Tajoura, à Zaouïa et dans plusieurs autres grandes villes de l’ouest libyen, de nombreuses manifestations sont organisées. Acculé, le premier ministre a finalement décidé dans la nuit la suspension de Mme Mangoush de ses fonctions et annoncé qu’elle devra faire face à une « enquête administrative ». La ministre déchue aurait depuis pris la fuite en Turquie à bord d’un jet privé du gouvernement, rapporte la presse libyenne.
« Fusible »
En rejetant la faute sur la diplomate, M. Dbeibah plaide ainsi sa méconnaissance d’une telle réunion et se sert ainsi d’elle comme d’un « fusible », estime Jalel Harchaoui, chercheur associé au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies. Il ne fait « aucun doute » selon lui que le premier ministre était au courant de la rencontre, une information confirmée par deux officiels libyens auprès d’Associated Press, sous couvert d’anonymat. « Dbeibah a déjà envoyé des signaux de sa volonté de parler à Israël », observe le chercheur, précisant que le premier ministre dont le mandat a expiré en décembre 2021 « cherche activement à plaire à des nations étrangères » pour se maintenir au pouvoir.
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