Cheveux blonds et raie à droite, en tailleur et escarpins, Sophia Jarl a donné rendez-vous dans un restaurant de Norrköping, une commune de cent quarante mille habitants, à 160 kilomètres au sud de Stockholm, qu’elle dirige depuis l’automne 2022 avec le soutien de l’extrême droite. Grande admiratrice de l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher, cette conservatrice de 45 ans semble un brin étonnée de la polémique qui a fait d’elle l’ennemi numéro un du milieu culturel en Suède.
En cause, une série de réformes, adoptées par le conseil municipal de Norrköping, visant notamment à accroître la part des financements privés dans ce secteur. Sophia Jarl assume : alors que les finances de sa ville devraient accuser un déficit de près de 400 millions de couronnes (33,6 millions d’euros) cette année et qu’elle dit se démener pour « défendre l’école, la santé et les maisons de retraite », la culture ne fait pas partie de ses « priorités ». Tant pis pour ceux qu’un tel discours choque.
Répondant à ses détracteurs, dans une tribune publiée le 23 août par le tabloïd Expressen, Sophia Jarl persiflait contre « l’élite culturelle », qualifiée de « pourrie gâtée » et prête à tout pour « garder ses privilèges (…) en grande partie financés par le contribuable ». Le texte a fait scandale, provoquant moult éditoriaux outrés et l’appel, de la part d’artistes, au boycott de Norrköping. Même la ministre de la culture, Parisa Liljestrand, conservatrice elle aussi, a reconnu que ces propos n’étaient « pas raisonnables ni respectueux ».
Ce que Norrköping doit à la culture
Directrice de la culture à la mairie de Norrköping, Maria Modig, cheveux bruns et voix douce, ne peut s’empêcher de penser que l’affaire a du bon : « Nous n’avons pas eu de débat depuis longtemps en Suède sur la culture et ce qu’on souhaite en faire. » Or, à travers le royaume, de nombreuses institutions culturelles alertent sur la situation de leurs finances, alors que leurs dépenses de fonctionnement augmentent et que les subventions publiques ne suivent pas.
« Partout dans le pays, on oppose la culture à l’école ou à la santé et on laisse entendre qu’en coupant dans les budgets de la culture on pourra financer le reste », commente Niklas Cserhalmi, directeur du Musée du travail, un établissement national basé à Norrköping. Il voit dans cette polémique le résultat de décennies de réformes néolibérales qui ont fait de la Suède un pays où « plus personne ne souhaite payer pour les autres » et où « l’hystérie du new public management [qui applique aux services publics les méthodes de gestion du privé] met au défi la culture ».
Il vous reste 54.9% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.